❧ A noble et puissant Seigneur, Monseigneur le Reverendissime Cardinal de Meudon, Nicole Bargede treshumble salut
Monseigneur, l’affection maistresse des humains, contrainct celuy qu’elle domine d’une necessité forcée à disposer et escrire ce qu’elle veult estre redigé en disposition et forme d’escriture, tant qu’il est impossible à l’esprit sur lequel elle a puissance, sortir ses limites destinez et prefix. Pour en donner exemple bien apparent, je ne cherche le tesmoignage de l’estranger, satisfaict et content du nostre domesticque, pour l’approbation duquel j’appelle Dieu à tesmoing, si nostre maison affectionnée à vous et vostre service depuis que nous feusmes privez de vostre digne presence, par le voyage de Rome, a prins plaisir en chose quelle qu’elle soit : mais plustost oubliant son naturel pour la joye accoustumée, s’est vestue d’un manteau noir de tristesse, nous commandant tresexpressement faire le semblable : et à ma muse de inventer les tristes inventions des tragedies, qui serviront d’attestation de la douleur d’une absence regrettée, avec prieres à Dieu dressées ad ce qui luy pleust vous preserver pour le temps que seriez absent, et ramener sain et en bonne prosperité : son affection feust la mienne, tellement que depuis le commandement à elle faict, je n’ay mis œuvre en lumiere qui n’ait contenu l’une des deux choses commandées, ou bien toutes deux ensemble. Mes Bucoliques sont plaines de lamentations pitoyables et regretz indicibles sur vostre absence. Mon Parc contient les veux, sacrifices, prieres et oblations que faisoit avec nous pour vostre heureux et prosperé retour. Le vieil et caduc Berger nostre pere, Lieutenant en voz praries, lequel pour un peu nous consoler, et eviter nostre desespoir et domesticque desolation nous afferma (avec le serment solennel) qu’il avoit congeu par l’influence des astres, desquelz par son ancienneté et revolution des années il avoit bonne experience que vostre retour estoit prochain, chose qui nous reconforta merveilleusement : ce neantmoins ma muse ne cessa de courir les lisses de son premier cours : n’estant revocquée de son entreprinse, se accointa du Moins que rien, qu’elle dict estre filz aisné de la terre. Vray est que je ignore si telle accoinctance est faicte ou confermée en faveur de mariage ou non : si est ce que vous trouverez par ce que je vous presente, que diligemment elle s’est enquise (ainsi que celle qui dressoit un mariage sans m’en communiquer) de la naissance pouvoir et gouvernement de son Moins que rien, et puis en a escrit ce qu’elle en avoit entendu disant outre qu’elle me vouloit laisser pour le suyvre jusques à vostre retour. Depuis je ne l’ay veue jusques ad ce qu’elle revint portant en la main senestre un livre couvert de velous noir ; et un autre en destre enrichy d’une couverture de satin cramoisy rouge ; et se presentant devant moy au lieu de Vezelay, me dict qu’elle vous avoit veu partir de Lyon pour tirer à Paris, et partant que je me diligentasse pour avec humble reverence presenter à vostre seigneurie les susdictz deux livres, tesmoinz l’ung de sa douleur pour vostre absence et amitié prestée à son Moins que rien, l’autre de sa joye plaisir et liesse de vostre tresheureuse et divine presence : ce qu’elle m’a commandé, pource que je ne l’ose desdire, j’ay mis à execution, vous suppliant humblement me recevoir avec elle en vostre protection et sauvegarde, comme Monseigneur, et celuy auquel je doibs, et duquel je tiens mon tout. Usez donc s’il vous plaist envers vostre treshumble subject et tresobeissant serviteur de vostre accoustumée clemence et bonté, en recevant les premises et premieres oblations de mon affectionée muse. Et avec la reception d’icelles, plaise à vostre divinité admettre et confermer le suppliant en l’estat pour lequel ses amis, je dy amis de science, pour luy vous ont prié, tant qu’il demeure au fort le moindre de voz officiers, et le plus grand et le plus heureux de tous les siens.
Monseigneur, je prie Dieu qu’il veille favoriser à ceste tant heureuse venue, vostre vie de pareil aage que celuy de Nestor de Grece, avec entier accomplissement et prospere perfection de voz nobles et louables desirs.
Par celuy qui baise les mains de vostre tresillustre Seigneurie.